La rédac’ a cette fois-ci envoyé son reporter tout terrain très très loin, vers un petit étang visité une fois l’an, jour de fête nationale : la pression était donc grande.
Seulement voilà, les guides locaux ont imposé un rite initiatique passant par l’absorption d’une mixture locale dénommée l’brûlot. Il en est revenu transfiguré, la tête remplie de souvenirs incohérents.
C’est une lumière vive qui m’a réveillé…
… Je ne savais pas vraiment où j’étais, mais je n’étais pas seul…
… Même si mes yeux embrumés ne parvenaient pas à capter tous les détails, ce sanglier me semblait bien réel et très proche.
Depuis combien de temps j’étais là?
Aucune idée.
J’ai regardé autour de moi, il y avait bien tout mon équipement pour faire des photos, mais rien à manger. Il y avait un bout de papier avec un message laconique :
Cherche l’étang et découvre le secret des carpes!
Wow, comment j’allais faire une chose pareille?!
Et puis d’abord, comment trouver un étang dans un paysage pareil?
Le jour se levant, le sanglier était parti, on m’observait toujours!
Je suis donc allé leur demander!
Dites moi mesdames, et jeunes gens, ne sauriez vous pas où il y aurait un étang par hasard?
Si, derrière toi!
Vous supportez mal les boissons locales hein les gars du sud?!
Oui bon! Ca va! A tout hasard, le secret des carpes ça vous parle?
Ooooh… Le pov’ gars, ils l’ont achevé!
Elles se sont éloignées de moi avec un regard empli de pitié, se demandant si j’étais dans mon assiette ou si c’était elles qui allaient y finir.
Je savais donc où aller, j’étais déjà ça!
En m’approchant de la rive, j’y ai vu des signes qui ne trompaient pas :
Et j’ai fini par tomber sur un bel individu…
… Que j’ai approché sous le vent, en douceur, je me demandais bien pourquoi car j’ai eu l’impression qu’il semblait m’attendre.
Dites moi monsieur!
Madame s’il vous plait!
Toutes mes excuses. Dites moi madame, pouvez-vous me renseigner sur le secret des carpes?
Bien sûr, suivez-moi!
En le disant, l’animal a détalé.
J’ai à peine eu le temps de lui tirer le portrait, qu’il me fallu forcer le pas. C’est une fois bloqué dans les ronces que j’ai compris trop tard que je m’étais fait avoir.
J’ai donc cherché d’autres traces.
Mais la bergeronnette ne voulait rien dire,
La cane ne m’a même pas laissé approcher,
et la sterne, elle, était occupée à chasser,
elle me snobait donc.
J’ai compris que là, il me faudrait me renseigner du côté du micro-monde, parce que les vertébrés, tout en haut de l’échelle de l’évolution, se méfiaient trop et se muraient dans le silence.
J’ai voulu demander à une thomise…
… Mais par ma faute elle a loupé son déjeuner, la mouche s’étant même essuyé les pieds dessus. Elle m’a donc regardé de travers…
… Je suis vite parti demander à une congénère plus jaune…
… Mais celle-ci a commencé à me regarder avec gourmandise, je suis parti en courant.
Quelque peu déboussolé par autant d’échecs, je me suis retrouvé face à une flaque d’eau. Et là 2 yeux m’ont regardé fixement.
Pourquoi cherches tu le secret d’un animal aquatique en demandant conseil à une araignée?
Je ne sais pas!
Pourquoi as-tu demandé au ragondin? Tu sais bien qu’il a peur de l’Homme!
Ah, heu… Enfin oui, mais..
Réfléchi un peu! Suis les ailes de fée!
Et sur ces mots, il s’est envolé.
A ce moment précis, comme dans toute histoire de ce genre, je me suis dit qu’il me fallait trouver une grenouille, ce serait plus simple…. J’ai finalement trouvé un crapaud…
… Tellement minuscule que j’ai dû me coucher dans l’herbe pour lui parler… Et entendre ce qu’il disait.
Le secret des carpes ça te parle?
Non!
Et les ailes de fée alors?
Oui, suis moi j’en ai trouvé une par là!
Et il avait raison.
Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt! Les fées étaient des libellules! Sur le terrain, j’étais bien incapable de savoir à quelle espèce elle pouvait bien appartenir.
J’ai donc cherché.
Celle-ci sortait tout juste de son exuvie, ses habits étaient tout neuf.
On s’est regardé droit dans les yeux…
Mais elle était trop jeune, elle ne savait rien.
Je me suis approché d’un couple fort occupé à former un coeur…
Et ils m’ont dit de chercher les stylets blancs…. Que j’ai fini par trouver…
Oui. Cette libellule, ici un beau mâle, possède des stylets blancs au bout de son abdomen. Elle m’aura donner du fil à retordre jusqu’à ce que je remarque ce détail!
Bonjour monsieur! pouvez-vous m’indiquer où trouver des informations concernant le secret des carpes?
Dans le monde des fées, on est muet de génération en génération. L’orthétrum s’est donc envolé pour se poser sur une autre branche à côté de l’ancêtre de la zone…
… il avait dû en voir des choses. D’ailleurs, la branche sur laquelle il était posée était étrange, les tigelles avaient une drôle de consistance…
… Et des lampions étaient accrochés dessus.
Les branches m’indiquant l’autre côté de l’étang, je m’y suis rendu.
Et là, je suis tombé nez à nez, si l’on peut dire, avec des carpes, même pas effrayées par ma présence, toutes occupées qu’elles étaient à fouiller dans la vase.
J’ai donc entamé une discussion avec l’une d’entre elle, puisqu’elle m’avait jeté un regard curieux. Je ne sais pas si vous avez déjà discuté avec une carpe, mais ça vaut le détour.
Bonjour! Je suis reporter, pouvez-vous me dire quel est votre secret?
Nous sommes immortelles!
Heuu, ah, et c’est tout?
Nous sommes immortelles!
C’est à dire?
L’Homme nous pêche, l’Homme nous relâche, nous sommes immortelles!
J’en suis tombé à la renverse.
Tout ça pour ça!?
Je me suis donc extirpé de ce bourbier et, voyant l’agrion prendre un encas…
.. Et le petit lycanidae boire un sirop de nectar…
… Je me suis souvenu que j’avais très faim, et qu’il me fallait rejoindre la civilisation…
… Avant que la nuit ne m’en empêche.
Autant vous le dire tout de suite, cette nuit là j’en ai vu des couleurs.