Voici le troisième et dernier volet de cette série.
Pour rappel, le premier épisode : un matin dans le pays de Banon se poursuivait par une journée ensoleillée pour finir par un parcours en sous-bois obscure menant sur une autre planète.
Nous sommes toujours en avril.
La journée étant bien avancée, il est temps de sortir de la prairie en suivant la direction indiquée par ce plantain quelque peu dégarni.
Nous laissons ainsi le soleil en haut à gauche, pour prendre la direction indiquée en bas à droite, plein ouest vers le sommet local, le St Laurent. Dans cette direction il y a 3 ravins encaissés parcourus par un cours d’eau parfois sec par endroit l’été. Pour y arriver, il faut traverser une forêt de résineux et de chênes blancs.
Première surprise dans ce sous bois, des plantes aux feuilles tâchées de noires, appartenant peut-être aux orchidées du genre Dactylorhiza, à moins que la disposition en rosette des feuilles de certains pieds ne fasse pencher la balance du côté de Orchis mascula par exemple. Ou alors il y avait plusieurs orchidées différentes dans le secteur…. Malheureusement, je n’en saurais pas plus.
En cherchant un angle convenable pour faire cette photo, j’ai retourné un petit bloc de pierre, et dessous, il y avait une jolie surprise…
… Sous la forme d’un scorpion (Euscorpius sp. flavicaudis, Arachnida) tout aussi surpris que moi. Après une brève position défensive, il est vite parti chercher l’obscurité rassurante… D’où cette photo quelque peu floue. J’aurais bien le temps d’en revoir.
Le repas potentiel du scorpion m’est passé devant l’objectif lui aussi : le cloporte.
J’adore ces animaux : des mini-chars d’assaut protégés par une carapace articulée, que tout le monde prend pour des mille-pattes… Alors que ce sont des crustacés (donc rien à voir). Comble de surprise, celui-ci ne semblait pas vouloir se rouler en boule, comme presque tous les cloportes, c’était bien ma veine. Il m’aura fallu quelques photos pour comprendre qu’entre sa taille (plus de 15mm), son corps aplati auréolé de jaune sur le dos, les 3 lobes formés par sa tête, ses uropodes lancéolés et le bout des antennes (on parle de flagelle) constitué de 3 articles, j’avais en face de moi l’aselle des murs (Oniscus asellus, Crustacea Isopoda).
Après toutes les péripéties, le cours d’eau sauvagement calme était en vue.
D’un côté régnait la sérénité nécessaire à la croissance de ce jeune chêne…
… Et de l’autre le chaos causé par l’érosion avait fait son oeuvre…
… et permettait même d’observer le système racinaire d’un arbre par dessous.
Oui, on est comme ça nous à de-natura! Vu du ciel c’est d’un commun, mais vu de dessous beaucoup moins!
En remontant le petit cours d’eau, les sujets d’intérêt ne manquaient pas.
Ici une larve de trichoptère, communément appelée porte-bois, s’accrochait à un caillou dans le courant…
… Là un sanglier s’était couché dans la boue…
… Et avait même signé son oeuvre…
… Oeuvre que chevreuils et cerfs étaient venus admirer.
La zone était fréquentée, les représentations de qualité, de quoi en perdre la mâchoire.
C’est que les prédateurs rodaient partout, et surtout dans l’eau. Encore un scorpion, mais un scorpion d’eau cette fois-ci.
Ainsi est la nèpe (Nepa cinerea, Hemiptera), punaise aquatique respirant en surface (on voit le tube respiratoire sortir de l’eau à droite de la photo ci-dessus), est du genre agressive (attention à vos doigts). Elle est même capable de s’attaquer à de jeunes vertébrés aquatiques comme les têtards, les alevins (pas dans ce cours d’eau, il n’y a pas de poisson) ou encore les très jeunes larves de salamandres tachetées (Salamandra salamandra, Amphibia) comme celle-ci.
… Pourtant difficile à repérer…
… Nageant comme un poisson en ondulant du corps et respirant comme un poisson avec des branchies mais des branchies externes.
(On remerciera le Jimouille d’avoir autorisé l’utilisation de son écuelle de rando afin de permettre de montrer aux lutins les branchies de cette jeune salamandre).
Le Jimouille, parlons en : qui dit eau, dit chien mouillé…. A De-Natura on ne compte plus les photos ratées à cause de ce genre de comportement :
Sur la fin, le cours d’eau commençait à se rétrécir sérieusement, la source n’était plus loin.
Et la végétation obstruant le passage était dans un état qui ne trompait pas : cette eau devait être calcaire…
… Car les débris végétaux étaient recouverts de dépôts caractéristiques, beiges, ce qu’on appelle du tuf calcaire, formation que l’on voit aussi du côté de Saint Pons ou des sources de l’Huveaune dans les Bouches du Rhône.
Tout ça pour quoi au fait?
Tout ça pour aller là bas…
… Dans ce paysage lunaire.
Sur la carte géologique nous sommes dans du vert, donc du crétacé, période géologique qui s’étend de -145 à -66 Ma (millions d’années). Pour la petite histoire, le crétacé se termine avec la chute d’un astéroïde dans la province du Yucatan (Mexique) qui coïncide avec l’extinction massive des dinosaures. En regardant de plus près sur la carte (Application infoTerre du BRGM), l’inscription C1 (Cénomanien, étage stratigraphique du crétacé supérieur s’étendant de -100.5 à -93.9 Ma) réduit l’espace temps foulé du pieds. Bref, nous sommes dans du C1-2a, c’est beau, et ça veut juste dire que le terrain devant nos yeux est de la marne calcaire, ce que du côté de Digne on appelle les terres noires : rien ou presque n’y pousse, aucun fossile dans tout ce gris.
Normalement, j’aurais dû vous montrer des photos travaillées avec soin, qui créent une atmosphère angoissante, qui soulignent l’aspect lunaire, mais voilà, la lune a été rapidement conquise par un Jimouille…
… rapidement suivi par son ombre, et le blanc des chiens a fait place au gris de la Lune. La Lune locale venait d’être colonisée par 2 excités.
La fin de l’histoire? Vous vous en doutez bien! Les chiens sont repartis dans l’eau afin de rentrer plus blanc que blanc à la maison 😉