Rien ne vaut le prétexte d’une petite ballade en famille ainsi qu’une rencontre inattendue pour déclencher un appétit photographique.
En fin d’après midi, dans une zone où la chasse est omniprésente à en juger par le nombre de coups de feu, voilà-ti pas qu’on tombe nez à nez (à 50 mètres près) avec un groupe de cerfs. Entre la végétation trop haute, trop touffue, la distance et le manque de luminosité, rien de bien probant à se mettre sous la dent comme vous pouvez le constater.
Une belle photo de cerf caché derrière une branche, il fallait le faire!
Et après s’être bien moqué de moi, il s’en est allé, sans se presser.
Autant utiliser les yeux pour se régaler. Il fallait donc que j’y retourne!
Cette fois-ci le prétexte était la cueillette de champignon (oui au singulier)…. où l’envie de se promener en forêt étant donnée la sécheresse du sous-bois malgré les pluies récentes.
Toujours est-il que 2 biches détalent devant moi : je ne les avais même pas remarquées. Il était donc temps que je sorte le matériel négligemment contenu dans un sac plein à craquer (c’est fou ce que le hasard fait bien les choses).
Hop, à leur poursuite. Ca commence facilement, le vent est pour moi, les biches ne peuvent pas sentir ma présence de trop loin. Nous sommes en Lubéron, ma zone d’évolution flirte avec les limites du parc. Comme souvent dans ces cas là, je suis également sur un terrain privé, mais possède une autorisation d’accès. Enfin, histoire de vous enlever toute idée que j’y suis allé à l’aveuglette, prenez en compte que nous sommes en début d’après midi, en fin de période de brame, à un moment de la journée où les cerfs ne brament plus (ou pas encore) modulo quelques jeunots ou sûrement des mâles très résistants, ou inconscients.
Je connais à peu près la zone, la carte au 1/25 000 dans le sac, les points clés pouvant me servir de repère mémorisés.
Côté vestimentaire, du sombre et résistant car nous ne sommes pas en forêt de Rambouillet ici : sans vêtements adaptés, hors sentier, la végétation montre combien elle est dense et piquante, y compris à travers un jean.
Je commence donc par avancer dans la direction prise par les biches qui se sont enfuies devant moi. Je progresse très doucement, le relief est vallonné, bien plus que ce que ne l’indique la carte, mais ça ce n’est pas une surprise dans le coin. Je me faufile sous des châtaigniers laissant déjà tomber leurs bogues hérissées de piquants dont certaines avaient des oreilles pour mieux entendre crier celui qui, par mégarde, mettais sa main dessus et hurlait de douleur.
J’ai également dû avancer entre les bruyères géantes et les chênes blancs, tout en évitant de marcher sur les feuilles trop sèches posées sur un sol trop dur et recouvrant des branches également bien sèches. Se faisant, je me retrouve souvent à devoir avancer à quatre pattes sous une végétation touffue. Je suis content d’avoir pensé à mettre un pantalon anti-épine, mais peste comme un putois d’avoir oublié mes gants : encore heureux, les manches de la chemise sont épaisses. Mais je persiste, la piste étant claire.
Au bout d’un moment je m’arrête : j’ai l’impression d ‘avoir fait tellement de détours que je ne sais plus trop où je suis. La boussole ne sert à rien sans point de repère, le soleil est caché par des nuages, la carte manque d’information mais la pente m’indique que je longe le Largue, un cours d’eau que j’entends en contre-bas. De même les voitures passant au loin m’indiquent où se situe la seule route du coin.
Je décide de prendre un peu plus d’altitude, ayant de toute façon perdu la trace des biches, mais sachant que devant moi, plein nord, se situe la zone de brame. Et là, devant moi, à même pas 20 mètres, un bruit de végétation caractéristique immédiatement suivi du bruit typique d’un animal lourd qui détale… j’ai à peine eu le temps de voir un dos brun entre les branches. N’ayant aperçu aucune ramure, j’en déduis qu’il s’agissait d’une biche, laquelle m’avait vue avant que je ne détecte sa présence : le truc classique.
Je me re-concentre et avance plein nord. Je rejoins enfin un vieux chemin indiqué sur la carte et le suis : c’est bien plus facile, le sol est plus souple, je fais beaucoup moins de bruit (en tout cas pour mes oreilles), j’en profite pour accélérer un peu en avançant baissé, longeant le côté le plus touffu de ce chemin. Mais le problème est double :
- d’une part le chemin serpente en suivant les vallons et la légère brise qui s’engouffre dans cette conduite forcée finit par être dans mon dos;
- d’autre part, sur ma carte je ne suis pas sensé rencontrer une pente aussi élevée que cela, ce que confirment le bruit de la route et celui du cours d’eau de plus en plus lointain.
La boussole confirme ce que je pressentais : sans m’en rendre compte j’ai réussi à me diriger vers l’ouest alors que je pensais aller vers le nord…. mon gps étant trop vieux, il ne passe pas sous ce couvert de végétation, il sonnerait tout le temps pour indiquer qu’il n’accroche plus de satellites… les joies de l’orientation en forêt.
Il est donc temps de prendre une perpendiculaire plein nord, de surveiller la boussole de temps en temps histoire de ne pas ré-éditer l’exploit. Je finis par entendre des moutons sur ma droite. Ca tombe bien, je sais qu’un troupeau, observé la veille, se situe dans la zone. Je pense donc savoir où je suis.
Je continue d’avancer sur une piste étroite mais souple, sans bruit. D’un seul coup un mouvement devant moi. Une tête! Et zut, l’appareil est attaché et non en main, il ne faut pas que je bouge, je tremble à l’idée que cette satanée brise dont je n’arrive plus à déterminer le sens finisse par dévoiler ma présence… j’ai chaud, le coeur bat la chamade : c’est la première fois que je vois un tel spectacle de si près.
La biche est devant moi, 30 mètres environ. Je ne peux pas bouger, sinon elle va détaler. Je ne peux pas prendre la photo d’où je suis, il y a trop d’obstacles. J’attends donc.
Elle finit par baisser la tête.
Je prends l’appareil en main, le règle et avance au ralenti un oeil dans le viseur.
Elle relève la tête : rhaaa saleté de branche! J’attends.
Elle baisse la tête, je m’avance, me décale et là… CRAC : la seule branche sèche qu’il y avait dans la zone était sous mon pieds : la tuile. La biche détale! Encore loupé.
Je continue d’avancer plein nord, le vent tourne, je l’ai dans le dos : c’est cuit. Mon odeur doit envahir la zone devant moi, ce n’est plus la peine de se faire discret.
En avançant pour tenter de rejoindre la route, je m’aperçois que le troupeau de mouton a été déplacé : je suis plus loin que ce qui était prévu et je me heurte au Largue qui, en cette zone, a son lit 4mètres plus bas, dénivelé non signalé sur une carte au 1/25 000.
Je suis obligé d’avancer. Bien m’en a pris, car j’ai visité un secteur intéressant après qu’un arbre m’ait fait signe : j’apprécie quand la nature essaie d’écrire mon prénom 😉
Arbustes écorcés et patinés sur 1m50 de haut par les frottements des animaux.
Avec quelques poils restés englués dans la résine dans certains cas.
Les coups de feu et les aboiements des chiens caractéristiques d’une battue me sortent de ma contemplation et me font accélérer le pas. J’ai fini par rejoindre la route, 10 Km et 3h plus loin par rapport à mon point de départ, bredouille côté photo de cerf, mais absolument pas déçu après ces quelques moments forts à mes yeux.
Alors pourquoi un tel récit? Tout simplement parce qu’entre la théorie et la pratique il y a un monde dans ce domaine ci de la photo, et que cette expérience m’a permis de voir ce que je faisais mal. J’aurais bien d ‘autres possibilités de faire des essais. Photographier un cerf vraiment sauvage dans un milieu ouvert (i.e. non clôturé), ce n’est vraiment pas facile, tant mieux!